A la Maison des femmes de Bacongo, nous formons les femmes à calculer leur bénéfice. Essentiellement, c’est ce but que nous avons, qu’elles sachent précisément quel est leur bénéfice, chaque mois.
Non, nous n’imaginons pas que toutes les femmes que nous formons deviendront des entrepreneuses millionnaires dominant des marchés improbables dans un pays aussi fragile que le Congo Brazzaville, et que, dans cette perspective, elles ont besoin d’être férues en comptabilité et en finance.
La plupart des femmes, vendeuses à Brazzaville, n’ont pas d’autre choix que d’aller sur les marchés, dans les rues, devant leur maison, vendre quelques marchandises pour en tirer trois sous (leur bénéfice). Elles n’ont pas d’autre choix car il n’y en a pas d’autres, pour le moment. Ce « choix » est d’ailleurs celui réservé à beaucoup de femmes des pays dit « en développement ».
A la Maison des femmes, c’est une formation basique à la gestion d’une micro-entreprise qui leur est donnée : elles apprennent à séparer les flux de trésorerie famille et activité, à calculer leurs charges et à mesurer leurs recettes précisément, tout cela pour être capables de déterminer leur bénéfice.
Lorsqu’on est salarié(e), savoir quelles sont nos ressources mensuelles est aisé. Mais c’est beaucoup plus difficile quand on est microentrepreneur(se). Tout le monde peut le comprendre.
Au Congo, les vendeuses sur les marchés n’ont à leur disposition ni balance, ni caisse-enregistreuse. Elles se débrouillent comme elles peuvent avec le calcul mental, parfois en s’assurant d’un bout de papier et d’un crayon, très rarement d’une calculatrice. Et elles s’en sortent très bien ainsi. En revanche, elles n’ont aucun suivi de leur activité.
Voilà pourquoi apprendre à calculer son bénéfice – résultat précis d’un grand nombre d’opérations sur un nombre important de données – est un acquis difficile qui nécessite beaucoup de prérequis.
1. Il faut connaitre précisément ses recettes, ce qui revient à noter scrupuleusement ce que l’on vend. Comme on vient de l’écrire, c’est presque impossible sur le marché quand tant de sollicitations empêchent de prendre le temps de noter.
2. Il faut connaître précisément ses achats et ses charges. Voilà qui est un peu plus facile car les charges de fonctionnement sont régulières (ce qui facilite la mémorisation) et les achats de marchandise plutôt rares dans une semaine. Encore faut-il reporter scrupuleusement ces données. Et les reporter sur quoi ? Le prix d’un livre de comptabilité est exorbitant.
3. Enfin, il faut être à l’aise avec l’écriture des chiffres, les opérations. Or, pour beaucoup de femmes qui ne sont allées à l’école que 6 ou 7 ans et se servent peu de ces outils dans la vie quotidienne, la tâche est rude.
Le « bénéfice » est une notion complexe, indispensable à une vendeuse qui veut savoir où elle en est. Mais à Brazzaville, le bénéfice, quand il existe, coule entre les doigts de nos bénéficiaires, ce n’est pas un petit tas d’argent qu’on aperçoit à la fin du mois et qu’on range dans une cassette. Difficile donc de bien comprendre ce qu’est cet argent qui existe, qui vous fait vivre, mais qu’on ne voit jamais. Et puis c’est un mot bien difficile à traduire dans les langues parlées au coeur de nos formations, le kitouba et le lingala notamment.
Mais nous continuerons inlassablement, nous essaierons toutes sortes de pistes pour aider les femmes à acquérir cette compétence indispensable à leur activité.
Car plus essentiellement, pour chaque femme qui suit nos formations, connaître précisément son bénéfice revient à connaître son niveau de dépendance ou d’indépendance économique. Si une femme a assez d’argent pour vivre, seule ou avec ses enfants, alors elle est libre. Libre de choisir sa vie.
Et cela, c’est la plus importante de toutes les raisons.